Mille milliards de mille Thabor ! Il y aurait donc plusieurs Thabor dans les Alpes ? Le premier, le plus connu, c’est bien sûr le célèbre Mont Thabor, qui domine le massif des Cerces du haut de ses 3178 mètres d’altitude. Un cap, une éminence, visible de pas mal d’endroits des Alpes du Nord, et un lieu de pèlerinage au propre, comme au figuré, pour nombre de marcheurs qui souhaitent le compter dans leur liste personnelle des sommets atteints. Mais alors l’autre Thabor, c’est lequel d’abord ? Privé de l’aura prestigieuse de son illustre parent, ce Tabor a l’altitude plus modeste a perdu un « H » dans la bataille. A seulement 2389 mètres, il ne concourt ici que dans la catégorie « montagne à vaches ». Du moins en face ouest, où a été tracée sa voie normale. En face est, c’est une autre affaire…

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Dans les derniers lacets avant d’arriver au Lac Charlet. En contrebas, Saint-Honoré

Si l’été son sommet docile dominant d’une courte tête l’Oreille du Loup et le Piquet de Nantes – ses challengers – n’est pas un objectif spontané chez les randonneurs, il en est tout autrement une fois l’hiver venu. Sur ses immenses pentes qui dévalent comme des toboggans vers le plateau Matheysin en contrebas, les skieurs de randonnée s’en donnent à coeur joie. Débonnaire le Tabor alors ? Pas tant que ça au regard de la sanction infligée l’hiver dernier à la montagne. Un sommet qui se rebiffe, histoire de rappeler que, même si on n’est pas au Mont-Blanc, le respect et la prudence restent de mise pour tenter d’en courtiser les voies. C’est donc avec humilité et curiosité que je me suis lancé dans son ascension.

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Les prairies à linaigrettes aux abords du lac Charlet

Pourquoi le Tabor quand, à 180°, on peut choisir entre l’Obiou, le Mont-Aiguille, le Grand Veymont ou le Taillefer ? Pour une raison évidente : en vacances à Saint-Honoré, je n’ai qu’à franchir le pas de la porte de mon studio pour démarrer cette randonnée. Une sensation appréciable que celle de n’avoir pas besoin de prendre sa voiture pour se lancer dans une course, aussi modeste soit-elle. Comme une impression de se contenter de sortir au jardin pour une petite promenade. Un jardin qui démarre au-delà des derniers bâtiments abandonnés de cette station restée à l’état de songe. Seules quelques résidences témoignent de cette époque envolée d’un projet avorté. La ruée vers l’or blanc éloignée, seules la tranquillité et une vue à tomber par terre sur la muraille du Vercors sont restées. Grand bien pour nous !

Qui croirait que ce succédané toponymique d’un fameux Thabor peut, ici, en Matheysine, dissimuler un si gratifiant spectacle ? Attention donc : un Thabor peut en cacher un autre !

Le sentier s’envole au-delà du bar-restaurant de chez Lysette, ultime trace d’habitat humain avant le lac Charlet. Avant d’entrer en altitude, il faudra s’acquitter de sa dette en forêt. Le sentier vers les alpages n’est pas le plus sinueux du monde. La rampe de départ sous les frondaisons des mélèzes tient plus de la piste de décollage que du sentier alpin. Un échauffement pour se rappeler qu’il n’y aura pas Tabor sans effort. Sous les rayons implacables du soleil, je m’élève maintenant sur un sentier bordé d’épilobes et dont l’orientation nord-ouest inflexible laisse peu de place à l’hésitation. Les pentes vertes du Pérollier se dressent à ma gauche, homogènes, presque impeccables. Le Lac Charlet n’est plus très loin.

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Le lac Charlet et, en toile de fond, le sommet du Pérollier

Appelation présomptueuse que celle de ce laquet tenant aujourd’hui davantage de l’étang que de l’étendue royale que son prestigieux titre laissait supposer. Posé dans un repli de terrain, à l’ombre des soubresauts du Tabor, le lac Charlet constitue un lieu de pause agréable et évident. Son étendue saumâtre sert de domicile et d’incubateur à des centaines de têtards veillés par des grenouilles attentives. De l’attention il faudra aussi que le randonneur en fasse preuve pour débusquer les chamois qui se fondent parfois dans ce décor de jardin alpin. Les jumelles ne sont jamais de trop pour les repérer eux ou les ballets aériens de quelques hôtes de ces montagnes. De mon côté, le compteur a grimpé à deux vautours fauves.

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Vautours fauves en vue : sortez les jumelles !

Dernière partie de l’ascension. La plus raide et la plus accidentée. Exit les chemins sans virage : l’itinéraire est soudain pris d’agitation alors qu’il cherche à se frayer un passage dans un versant lardé de barres rocheuses et de ruptures de pente. Hansel sans Gretel je me contente de suivre la piste des cairns comme les petits héros d’Andersen auraient suivi les gâteaux. Du lac, le sommet est donné en 1h30. Rattrapé par mes envies puériles de battre des records, je ne mettrai que 45 minutes. De quoi satisfaire l’égo mais guère le coeur et les mollets asphyxiés. Quand je sors la tête de mes genoux, c’est pour admirer enfin le paysage. Et c’est peut-être à ce moment-là qu’on réalise que le Tabor n’est pas un sommet si secondaire que ça.

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Sur la crête sommitale du Tabor. Au fond, le massif du Taillefer et, plus loin encore, Chamrousse et Belledonne.

Je me trouve au centre d’un vaste amphithéatre où cohabitent entre eux des massifs de renom. La silhouette de l’Obiou retient mon regard au sud, fièrement campée à l’entrée du Trièves. Puis c’est la ligne du Vercors qui surgit presque intégralement, du Mont-Aiguille jusqu’au Moucherotte. Sous mes pieds, le Tabor se rompt en ravines infranchissables sur son versant oriental. En-dessous c’est la vallée de la Roizonne et, en face, l’austère et intriguant bloc du Grand Armet, prolongement méridional du massif du Taillefer dont le sommet trône au nord-ouest. Témoin de la présence des Ecrins de l’autre côté, le sommet de la Roche de la Muzelle s’aperçoit au-delà du col de la Baisse. Même Belledonne et Chamrousse répondent présents à l’horizon de la crête des Brouffiers.

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Vers l’Est l’austère chaîne du Grand Armet

De ce petit trône inattendu qui jauge le plateau Matheysin, je plonge mon regard dans le bleu des lacs de Laffrey. Sous la canicule qui sévit sur les Alpes en ce mois de juillet 2015, le paysage entier luit d’une clarté crue, presque poisseuse. La chaleur me vole la clarté d’un belvédère mérité. Qu’importe, car ici, à 2389 mètres, je remplis enfin mes poumons d’un air frais qui devient rare en-dessous de 1500 mètres. Pour un peu, j’hésiterais presque à redescendre ! Qui croirait que ce succédané toponymique d’un fameux Thabor peut, ici, en Matheysine, dissimuler un si gratifiant spectacle ? Attention, un Thabor peut en cacher un autre !

INFOS PRATIQUES

Aventuromètre : 4/10
Durée : 5h
Dénivelé : 900 mètres
Carte : IGN TOP25 1/25000è 3336OT La Mure, Valbonnais
Accès : en venant de Lyon, rejoindre Grenoble par l’A48 ou, en venant de Nîmes ou Marseille par l’A7 puis, à Valence par l’A49. Le péage de Veurey franchi, continuer direction Gap par l’A480. Prendre la sortie 8 « Vizille, stations de l’Oisans » et continuer par la RN85. Au rond-point à l’entrée de Vizille tourner à droite, direction Bourg-d’Oisans et prendre la première sortie « Gap, Laffrey ». Monter la rampe de Laffrey et continuer en direction de La Mure par le RN85. Au rond-point de la ZI des Marais, tourner à gauche et, au rond-point suivant, tourner à gauche par la D115c direction Saint-Honoré. Continuer jusqu’à la station et se stationner en bout de route.
Topo : rejoindre l’extrémité du parking et descendre dans les alpages, derrière les bâtiments, en direction de panneaux de balisage. Monter tout droit en direction de la forêt par un chemin large et en lacets. Dans un virage, laisser le chemin principal et suivre à gauche un sentier qui part droit dans la végétation (présence d’un poteau indiquant « Lac de Charlet »). Suivre les marques jaunes jusqu’à un collet 100 mètres avant le lac. Pour rejoindre le Tabor il faudra à ce collet (panneau) prendre à droite un sentier balisé jaune (et cairné) s’élevant dans les alpages. Il contourne des ressauts, rejoint le fond d’un vallon, grimpe droit dans une courte cheminée suivie d’un sentier caillouteux et pentu. On atteint un replat légèrement ascendant qui permet de rejoindre un col sur la crête. De là obliquer à droite, au fil de la crête, pour rejoindre le sommet du Tabor. Descente : par le même itinéraire ou bien en poursuivant par la crête des Barres, au sud. Peu avant un large col remontant au-delà vers le Piquet de Nantes, tourner à droite pour rejoindre plus bas une piste qui zig-zague entre les paravalanches avant de rejoindre Saint-Honoré.

 

 

A propos de David

Auteur-voyageur, randonneur au long cours, avec une affection toute particulière pour les zones montagne, je me suis spécialisé dans la randonnée pédestre. Avec ma caméra, je fais découvrir des régions et des itinéraires de randonnée sur mon site et ma chaîne Carnets de Rando.